Présentation
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Présentation
Bonjour,
Je suis chercheur et je travaille à l'édition critique de certains textes d'Alexandre Dumas père (pour les Classiques Garnier). Un passage de la pièce MADAME DE CHAMBLAY (1868) m'amène sur ce forum (vers lequel m'a orienté mon gendre, escrimeur). A la fin de la pièce deux protagonistes vont se battre en duel; je cite:
"M. DE CHAMBLAY
Par malheur, on ne porte plus d'épée.
LE BARON
J'en ai là deux paires, monsieur, montées par Devisme, l'une en tierce, l'autre en quarte; vous choisirez celles qui vous conviendront le mieux..."
Je savais que la tierce ou la quarte sont des positions, mais j'ignore ce que signifie "montées en quarte" ou "en tierce". Peut-être pourriez-vous m'éclairer?
Merci d'avance.
Cordialement.
Je suis chercheur et je travaille à l'édition critique de certains textes d'Alexandre Dumas père (pour les Classiques Garnier). Un passage de la pièce MADAME DE CHAMBLAY (1868) m'amène sur ce forum (vers lequel m'a orienté mon gendre, escrimeur). A la fin de la pièce deux protagonistes vont se battre en duel; je cite:
"M. DE CHAMBLAY
Par malheur, on ne porte plus d'épée.
LE BARON
J'en ai là deux paires, monsieur, montées par Devisme, l'une en tierce, l'autre en quarte; vous choisirez celles qui vous conviendront le mieux..."
Je savais que la tierce ou la quarte sont des positions, mais j'ignore ce que signifie "montées en quarte" ou "en tierce". Peut-être pourriez-vous m'éclairer?
Merci d'avance.
Cordialement.
Re: Présentation
Bonjour,
Je ne peux vous garantir que je vais vous donner la solution (parce que ces expressions ne sont pas utilisées dans le corpus de l'escrime), mais je pense avoir l'explication la plus raisonnable.
En fait, les termes de tierce et de quarte sont utilisés de plusieurs manières :
- ils peuvent désigner une position de garde : la position de garde est une position d'attente, intermédiaire entre celle de défense et d'attaque. Cette position de garde, elle va consister en certaines positions prédéfinies des différentes parties du corps ; dont celle de la main qui porte l'arme, et qui nous intéresse ici. Il y a théoriquement, huit positions de main (de prime à octave) : on fait varier le côté de la main par rapport au corps (gauche ou droite), la position de la main par rapport au sol (supination, pronation), la position de la main par rapport à la pointe (plus haute ou plus basse) : ce qui fait 2x2x2 = 8. On va supposer que vous êtes droitier. En tierce, la main (droite) qui tient l'arme se situe sur le côté droit de votre corps, en pronation, avec une pointe plus haute que la main. En quarte, la main (droite) qui tient l'arme se situe sur le côté gauche de votre corps, en supination, avec une pointe plus haute que la main.
- ils peuvent désigner l'engagement des lames : engager les lames, cela consiste pour les adversaires à les mettre en contact. Si vous êtes droitier : si la lame de votre adversaire se situe à la gauche de la vôtre, vos lames sont engagées en quarte ; si la lame de votre adversaire se situe à la droite de la vôtre, vos lames sont engagées en tierce.
- ils peuvent désigner une attaque : Si vous êtes droitier : si vous attaquez votre adversaire plutôt sur son côté gauche et que vous mettez votre main en pronation, pointe plutôt haute, vous faites une attaque de tierce ; si vous attaquez votre adversaire plutôt sur son côté droit et que vous mettez votre main en supination, pointe plutôt haute, vous faites une attaque de quarte.
- ils peuvent désigner la parade : la parade est une action défensive consistant à écarter la lame adverse lors d'une attaque. Si vous êtes droitier : si vous écartez le fer adverse sur votre gauche, vous faites une parade de quarte; si vous écartez le fer adverse sur votre droite, vous faites une parade de tierce.
A noter qu'en escrime moderne, on privilégie la sixte à la tierce. La différence est que la main (en sixte) est en supination, comme en quarte, plutôt qu'en pronation (pour le reste, tierce et sixte sont semblables). Mais jusqu'au début de XXe siècle, on utilisait plutôt tierce et quarte.
Maintenant, concernant votre question, ce que c'est qu'une épée montée en tierce ou en quarte. Déjà, je suppose que vous savez que Devisme, c'est l'armurier (1806-1873) : il a dû se faire fourbisseur à l'occasion.
Ensuite, j'ai essayé de trouver le texte complet de la pièce de Mme de Chamblay, pour voir s'il y avait un peu plus de détail, mais on ne trouve que le roman.
Toujours est-il que cela ne me semble pas si compliqué. Vous avez remarqué que ce qui distingue véritablement tierce et quarte, ce n'est vraiment que droite et gauche...
Donc, en fait, le comte dit qu'il a deux paires d'épées :
- une paire montée en tierce : ce qui signifie deux épées destinées aux gauchers
- une paire montée en quarte: ce qui signifie deux épées destinées aux droitiers
Effectivement, si on ne porte plus l'épée, comme le précise M. de Chamblay, l'objet est moins fréquent. Lorsqu'on doit se battre, il faut s'armer, et par souci d'égalité, on utilise des armes strictement semblables (poids, longueur... il n'y a pas de normes à l'époque) fabriquées par paire. Mais évidemment, il faut que l'arme soit adaptée au droitier ou au gaucher, d'où ces deux paires.
Cela dit, la question légitime est maintenant : y a-t-il des épées pour droitiers et des épées pour gaucher.
Voilà un sujet qui devrait interpeller les membres de ce forum au-delà de la question que vous posez.
Parce que si la réponse est de nos jours de manière évidente que oui, les épées sont différentes entre droitier et gaucher, il n'est pas certain que cela ait été auparavant le cas.
Mais qu'est-ce qu'une épée pour droitier, qu'est-ce qu'une une épée pour gaucher ? Là, votre gendre pourra vos montrer en pratique.
En fait, une épée est composée de différentes parties :
- la lame
- la garde (je laisse tomber cette question de la garde qui peut être dissymétrique, et donc orientée différemment chez le droitier et le gaucher)
- la poignée
La poignée recouvre une partie de la lame qu'on appelle la soie.
En fait, on représente souvent une épée comme étant parfaitement rectiligne. Si vous regardez les planches de l'article Fourbisseur de l'Encyclopédie, vous verrez effectivement représenter des épées strictement droites comme des manches à balai.
Lorsque vous tenez d'une seule main une arme d'estoc, celle-ci est en principe dans le prolongement de votre avant-bras. Toutefois, vous savez que vous n'avez qu'un pouce, et que ce pouce qui permet la préhension se situe sur le côté de la main. Ainsi, quand vous prenez en main votre épée, la préhension par votre main fait que la lame de l'épée ne peut plus être dans le prolongement rectiligne de votre avant-bras. Il en résulte un léger décalage entre les deux segments : avant-bras et lame.
Il existe un moyen de résoudre ce problème : il suffit de courber la soie de la lame. Si vous courbez suffisamment cette soie, la lame redevient le prolongement rectiligne de votre avant-bras.
Si vous êtes droitier, vous allez essayer d'obtenir l'angle suivant entre lame et la soie :
\
.\
./
La lame du droitier est dirigée vers la quarte.
Si vous êtes gaucher, vous allez essayer d'obtenir l'angle suivant entre lame et la soie :
./
/
\
La lame du gaucher est dirigée vers la tierce (dans une logique droitier...)
Cette manière de courber la soie, c'est une évidence pour un escrimeur actuel.
Je ne peux pas vous donner une référence historique précise de l'expression "montée en quarte" ou "montée en tierce", mais j'en ai des très vaguement rapprochantes.
Guillaume Danet dans publié en 1788 écrit en page xxxvi (dans la logique du droitier) : "Il ne suffit pas encore d'avoir fait le choix d'une bonne lame, il faut qu'elle soit montée avec autant d'avantage que de sûreté. L'avantage est que le corps de la garde soit un peu incliné en quarte, ce qui facilite le dégagement".
Angelo dans publié en 1763 écrit (page numérotée 4) : "Le corps de la garde doit être monté un peu de quarte"
PJF Girard dans le 1736 en page 1 : "Vous ferez forcer la soie dans l'étau pour faire tomber la lame sur les doigts, autant que vous le jugerez à propos".
Au XIXe, les auteurs ne se préoccupent guère d'expliquer la manière de monter une épée (ou un fleuret). Par contre de nos jours, on trouve des tutoriels de coudage de l'épée : voyez .
Voilà pourquoi, à votre question, j'ai répondu :
épée montée en quarte = épée pour droitier ; épée montée en tierce = épée pour gaucher.
(NB : sachez que je ne peux ni écrire, ni recevoir de messages privés sur ce forum, je ne peux voir que ceux publics... donc ne m'envoyez pas de message privé, je ne peux les lire - de même, mes messages sont généralement publiés avec un certain décalage par rapport au moment où je les poste).
Je ne peux vous garantir que je vais vous donner la solution (parce que ces expressions ne sont pas utilisées dans le corpus de l'escrime), mais je pense avoir l'explication la plus raisonnable.
En fait, les termes de tierce et de quarte sont utilisés de plusieurs manières :
- ils peuvent désigner une position de garde : la position de garde est une position d'attente, intermédiaire entre celle de défense et d'attaque. Cette position de garde, elle va consister en certaines positions prédéfinies des différentes parties du corps ; dont celle de la main qui porte l'arme, et qui nous intéresse ici. Il y a théoriquement, huit positions de main (de prime à octave) : on fait varier le côté de la main par rapport au corps (gauche ou droite), la position de la main par rapport au sol (supination, pronation), la position de la main par rapport à la pointe (plus haute ou plus basse) : ce qui fait 2x2x2 = 8. On va supposer que vous êtes droitier. En tierce, la main (droite) qui tient l'arme se situe sur le côté droit de votre corps, en pronation, avec une pointe plus haute que la main. En quarte, la main (droite) qui tient l'arme se situe sur le côté gauche de votre corps, en supination, avec une pointe plus haute que la main.
- ils peuvent désigner l'engagement des lames : engager les lames, cela consiste pour les adversaires à les mettre en contact. Si vous êtes droitier : si la lame de votre adversaire se situe à la gauche de la vôtre, vos lames sont engagées en quarte ; si la lame de votre adversaire se situe à la droite de la vôtre, vos lames sont engagées en tierce.
- ils peuvent désigner une attaque : Si vous êtes droitier : si vous attaquez votre adversaire plutôt sur son côté gauche et que vous mettez votre main en pronation, pointe plutôt haute, vous faites une attaque de tierce ; si vous attaquez votre adversaire plutôt sur son côté droit et que vous mettez votre main en supination, pointe plutôt haute, vous faites une attaque de quarte.
- ils peuvent désigner la parade : la parade est une action défensive consistant à écarter la lame adverse lors d'une attaque. Si vous êtes droitier : si vous écartez le fer adverse sur votre gauche, vous faites une parade de quarte; si vous écartez le fer adverse sur votre droite, vous faites une parade de tierce.
A noter qu'en escrime moderne, on privilégie la sixte à la tierce. La différence est que la main (en sixte) est en supination, comme en quarte, plutôt qu'en pronation (pour le reste, tierce et sixte sont semblables). Mais jusqu'au début de XXe siècle, on utilisait plutôt tierce et quarte.
Maintenant, concernant votre question, ce que c'est qu'une épée montée en tierce ou en quarte. Déjà, je suppose que vous savez que Devisme, c'est l'armurier (1806-1873) : il a dû se faire fourbisseur à l'occasion.
Ensuite, j'ai essayé de trouver le texte complet de la pièce de Mme de Chamblay, pour voir s'il y avait un peu plus de détail, mais on ne trouve que le roman.
Toujours est-il que cela ne me semble pas si compliqué. Vous avez remarqué que ce qui distingue véritablement tierce et quarte, ce n'est vraiment que droite et gauche...
Donc, en fait, le comte dit qu'il a deux paires d'épées :
- une paire montée en tierce : ce qui signifie deux épées destinées aux gauchers
- une paire montée en quarte: ce qui signifie deux épées destinées aux droitiers
Effectivement, si on ne porte plus l'épée, comme le précise M. de Chamblay, l'objet est moins fréquent. Lorsqu'on doit se battre, il faut s'armer, et par souci d'égalité, on utilise des armes strictement semblables (poids, longueur... il n'y a pas de normes à l'époque) fabriquées par paire. Mais évidemment, il faut que l'arme soit adaptée au droitier ou au gaucher, d'où ces deux paires.
Cela dit, la question légitime est maintenant : y a-t-il des épées pour droitiers et des épées pour gaucher.
Voilà un sujet qui devrait interpeller les membres de ce forum au-delà de la question que vous posez.
Parce que si la réponse est de nos jours de manière évidente que oui, les épées sont différentes entre droitier et gaucher, il n'est pas certain que cela ait été auparavant le cas.
Mais qu'est-ce qu'une épée pour droitier, qu'est-ce qu'une une épée pour gaucher ? Là, votre gendre pourra vos montrer en pratique.
En fait, une épée est composée de différentes parties :
- la lame
- la garde (je laisse tomber cette question de la garde qui peut être dissymétrique, et donc orientée différemment chez le droitier et le gaucher)
- la poignée
La poignée recouvre une partie de la lame qu'on appelle la soie.
En fait, on représente souvent une épée comme étant parfaitement rectiligne. Si vous regardez les planches de l'article Fourbisseur de l'Encyclopédie, vous verrez effectivement représenter des épées strictement droites comme des manches à balai.
Lorsque vous tenez d'une seule main une arme d'estoc, celle-ci est en principe dans le prolongement de votre avant-bras. Toutefois, vous savez que vous n'avez qu'un pouce, et que ce pouce qui permet la préhension se situe sur le côté de la main. Ainsi, quand vous prenez en main votre épée, la préhension par votre main fait que la lame de l'épée ne peut plus être dans le prolongement rectiligne de votre avant-bras. Il en résulte un léger décalage entre les deux segments : avant-bras et lame.
Il existe un moyen de résoudre ce problème : il suffit de courber la soie de la lame. Si vous courbez suffisamment cette soie, la lame redevient le prolongement rectiligne de votre avant-bras.
Si vous êtes droitier, vous allez essayer d'obtenir l'angle suivant entre lame et la soie :
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La lame du droitier est dirigée vers la quarte.
Si vous êtes gaucher, vous allez essayer d'obtenir l'angle suivant entre lame et la soie :
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La lame du gaucher est dirigée vers la tierce (dans une logique droitier...)
Cette manière de courber la soie, c'est une évidence pour un escrimeur actuel.
Je ne peux pas vous donner une référence historique précise de l'expression "montée en quarte" ou "montée en tierce", mais j'en ai des très vaguement rapprochantes.
Guillaume Danet dans publié en 1788 écrit en page xxxvi (dans la logique du droitier) : "Il ne suffit pas encore d'avoir fait le choix d'une bonne lame, il faut qu'elle soit montée avec autant d'avantage que de sûreté. L'avantage est que le corps de la garde soit un peu incliné en quarte, ce qui facilite le dégagement".
Angelo dans publié en 1763 écrit (page numérotée 4) : "Le corps de la garde doit être monté un peu de quarte"
PJF Girard dans le 1736 en page 1 : "Vous ferez forcer la soie dans l'étau pour faire tomber la lame sur les doigts, autant que vous le jugerez à propos".
Au XIXe, les auteurs ne se préoccupent guère d'expliquer la manière de monter une épée (ou un fleuret). Par contre de nos jours, on trouve des tutoriels de coudage de l'épée : voyez .
Voilà pourquoi, à votre question, j'ai répondu :
épée montée en quarte = épée pour droitier ; épée montée en tierce = épée pour gaucher.
(NB : sachez que je ne peux ni écrire, ni recevoir de messages privés sur ce forum, je ne peux voir que ceux publics... donc ne m'envoyez pas de message privé, je ne peux les lire - de même, mes messages sont généralement publiés avec un certain décalage par rapport au moment où je les poste).
Re: Présentation
Merci pour cette réponse très complète. La pièce de Dumas peut se trouver en ligne sur le site Gallica/BnF (tome XXV du Théâtre, 1874), mais en fait le seul passage concernant les épées est celui que je vous ai communiqué - et le duel aura lieu, hors champ, à l’acte V. Le roman aborde les choses différemment... Merci aussi pour Devisme, dont je n’avais ni les dates ni le prénom.
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